Tout allait bien avant que le téléphone ne retentisse, ce 4 octobre 2020. Mémé ne pouvait plus bouger comme elle l’entendait et il est vrai qu’elle souffrait beaucoup de cela. Mémé faisait aller, mais était cependant frustrée de son état soudain. La lenteur de ses mouvements donnait lieu à des situations plutôt cocasses. En effet, ma grand-mère n’avait pas toujours le temps d’aller faire ses besoins, lorsqu’une diarhée incessante se déclenchait. Je me retrouvais parfois à la maintenir debout pendant que ma propre mère, nettoyait toute cette merde. C’est une situation qui ne nous a pas effrayé, qui ne nous a pas dérangé, dans le sens où il nous paraissait normal d’être là pour elle même dans les épisodes les plus gênants et les instants les plus odorants.
Cette femme d’une dignité et d’une classe inqualifiable, refusait de porter des couches dans les premiers temps. Cette maladie a effacé petit à petit la personnalité de ma Mémé. Nous demeurions ravi(e)s lorsque nous retrouvions parmi nous la personne que nous avions toujours connus, cette femme étonnante. Mémé, a toujours été une femme propre et coquette. Mais dans certaines phases de sa maladie, elle oubliait cette notion d’hygiène, de propreté, cette notion qui a pu la sauver à certains moments de sa vie. Mais nous étions aussi frappés par ses minutes de lucidité qui nous permettait d’enrichir un peu les conversations que nous avions avec elle. Elle n’a pas cessé d’être cette femme protectrice et tendre avec ses petits enfants, elle n’a pas cessé de demander après nous, et même après ses autres petits enfants qui ont oublié à quel point elle était une grand-mère formidable.
Il m’était inconcevable de me préparer à la mort prochaine de ma grand-mère. Un miracle pouvait exister… À chaque progrès, une lueur d’espoir s’illuminait en moi, à chaque déclin, une grande tristesse envahissait mon corps tout entier, déclin qu’il m’était impossible de reconnaitre, une désillusion qu’il fallait que j’affronte le moins possible.
Notre but était de faire plaisir à cette grande dame, le plus possible, et de répondre davantage à toutes ses demandes, même si elles étaient parfois farfelues. Ma mère allait à la crèmerie acheter du bon fromage et des yaourts de qualité pour que Mémé puisse s’alimenter correctement, et d’un coup, quand elle rentrait des courses, Mémé avait une nouvelle demande, alors ma mère s’exécuta et alla acheter les huitres et le cidre qui faisaient tant envie à cette jolie femme. Ces envies soudaines nous ont valu, de vrais moments de complicité et de convivialité avec celle qui était un peu « la Mémé de tous ». Mes amis étaient reconnaissants de la femme au grand coeur qu’elle a été pour eux, se souvenaient des goûters qu’elle nous préparait en rentrant de l’école, de sa porte toujours ouverte et de cette femme qui privilégiait le bonheur des autres à défaut de prioriser le sien.
Vivre avec elle, afin de la soutenir au mieux dans sa maladie, nous a permis de vivre chaque minute, le plus intensément possible, d’être présents à ses côtés à cent pourcents. Mais son côté paranoïaque, entretenu par sa peine immense, refaisait souvent surface. Alors que ma mère avait tout fait, pour qu’elle soit hospitalisée à domicile, Mémé ne se croyait pas chez elle. Dans sa chambre, elle ne reconnaissait pas son armoire ni ses multiples vêtements. Il est vrai, que le lit médicalisé n’arrangeait pas à y voir plus clair. Elle nous posait des questions, essayait de nous faire comprendre que ce n’était pas normal d’avoir transféré ses affaires dans un endroit qu’elle ne connaissait pas. Elle savait qu’elle n’était pas à l’hôpital, mais ne savait pas exactement où elle était. Elle nous renvoyait le sentiment horrible qu’on la séquestrait, or, nous voulions respecter sa demande la plus chère, la maintenir chez elle, tant que cela serait possible. (L’hospitalisation à domicile a vraiment fait un travail fabuleux, et a été un grand soutien pour la famille). « Sortez-moi de là! », scandait-elle. Ses hallucinations lui faisaient voir et appeler des gens disparus ou qu’elle n’avait pas vu depuis un certain temps, elle vivait dans ce passé dont elle voulait sûrement refaire l’histoire. Elle appelait ma mère, « Tata », sans doute parce que sa tante s’est toujours occupée d’elle aussi.
C’en était presque affolant de constater la confusion des époques. Troublant, de comprendre à quel point les dysfonctionnements du cerveau pouvaient nous faire dérailler. Impressionnant à quel point certaines situations peuvent se montrer rocambolesques. Elle voyait son fils, petit, puis ensuite ne comprenait pas pourquoi il ne venait pas la voir, nous lui expliquions qu’il avait une famille qu’il travaillait et quand nous parvenions à lui expliquer ce qu’il s’était passé dans la famille, elle eut un temps de lucidité. Elle demanda à ma mère, si ses parents savaient qu’elle était malade. Quand vous vous retrouvez face à cette situation, face à une personne délirante, qui a des hallucinations, qui transmet à travers ses délires, une remontée de souvenirs ou des volontés qui n’ont sans doute jamais eu lieues, comment réagir ? Doit-on lui mentir ? Doit-on la conforter dans ses délires ? Que faire ?
Mémé, m’a bien fait rire, elle m’a apporté la tendresse que nous avions besoin toutes les deux. Elle regardait nos photos, à mon frère et moi, et passait parfois son temps à parler à nos portraits ou à nous tirer la langue. Ce qui est réconfortant, c’est qu’elle aura garder le souvenir que nous avons été là, pour elle, dans les bons comme dans les mauvais moments et qu’elle n’oubliera pas qui nous avons été.